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Dessous et enjeux de la crise politique à Madagascar

Par Jaona Ravaloson, Délegué Général de FFA pour Madagascar

 

Un mois après le changement de régime politique à Madagascar, le pays n’a jamais été aussi près d’une balkanisation, d’une division profonde et d’un affrontement violent interne… Certains n’hésitent pas à évoquer une «somalisation», allusion à l’effondrement de l’État et à l’éclatement de la Somalie en plusieurs factions rivales incontrôlables et incontrôlées attisant la guerre civile.

D’un autre côté, un mois après le changement de pouvoir, à une époque de l’année où on entre dans l’hiver austral, le printemps politique semble être de retour. La grande île de l’océan Indien n’a jamais été aussi libre: toutes les tendances politiques (sauf une) vivent une seconde jeunesse, l’opposition muselée de fait et de droit depuis quelques années renaît de ses cendres, les forces vives, y compris les groupements de la société civile, les syndicats, le patronat, les associations professionnelles du pays s’expriment sans entraves sur le passé, le présent et le futur de la nation… Bref, une effervescence qui devrait paver la voie à un véritable équilibre des forces politiques en présence et donner lieu à une démocratie authentique.

 

Un cul-de-sac?

 

Ce serait heureux si ce second scénario prévalait dans les prochaines semaines. En effet, le déficit de démocratie, l’absence de contre-pouvoir, l’élimination de l’opposition ont toujours abouti à Madagascar, comme ailleurs, au despotisme et à la tyrannie en dépit des bonnes intentions initiales. Exemple: quand Marc Ravalomanana, le tout récent ex-président malgache, était arrivé au pouvoir en 2002 (rappelons-le, de manière insurrectionnelle également!), c’était pour mettre un terme à des années du règne personnel de Didier Ratsiraka.

Très vite, il fallait cependant déchanter, car Marc Ravalomanana, à l’instar, voire très au-delà de son prédécesseur, a rapidement verrouillé à son profit personnel la vie politique, l’appareil d’État, les institutions de la République et l’économie nationale. Légalement, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de mettre fin à une telle dérive. En faisant appel à la rue et au soulèvement populaire pour faire bouger les lignes, le jeune maire d’Antananarivo, la capitale, devenu depuis lors le chef en titre de l’État, n’a donc fait qu’utiliser le seul levier disponible.

 

Coup de force

 

Si des voix s’élèvent pour contester la constitutionnalité et la légalité de cette approche, personne en dehors des partisans du président déchu Ravalomanana ne critique sa légitimité et son utilité. À cet égard, Andry Rajoelina, le nouveau numéro un malgache, s’est juste conformé à la pratique historique malgache en termes de succession de pouvoir: renversement du régime en place par un coup de force populaire légalisé, renversement constitutionnalisé quelques mois plus tard par un référendum ou une élection.

C’était le cas en 1972 lorsque Philibert Tsiranana, réélu président à 90 % six mois auparavant, avait dû se résoudre à partir. Ce fut le cas en 1991-92, alors que l’amiral Ratsiraka était triomphalement réélu en 1989. C’est le cas aujourd’hui, même si Ravalomanana estime avoir été plébiscité dès le premier tour, à la fin 2006.

Tout le monde sait, à Madagascar, que les élections organisées par le pouvoir en place ne sont qu’hypocrisie et tricherie et n’engagent que ceux qui sont élus de cette façon. Tout le monde fait semblant d’accepter les résultats jusqu’à ce que «l’inondation fasse monter l’eau des rizières au niveau des genoux», comme on le dit localement. C’est pour cette raison que légitimité et légalité y font rarement bon ménage et qu’il y a un conflit de calendrier entre insurrection et élection.

 

Quatre grands courants s’affrontent

 

Pour la Grande Île et pour les bonnes âmes qui veillent sur son destin, l’enjeu désormais est de sortir du cercle vicieux qui pousse le pays d’insurrection en insurrection, contrepartie inévitable du passage d’un despotisme à un autre.

Il faudrait saisir l’occasion actuelle et immédiate d’un regain de vie démocratique et d’un équilibre des forces politiques pour construire un paysage institutionnel nouveau et durable. Pour la première fois depuis des décennies, aucun groupement politique en particulier n’est dominant. Ce phénomène est trop rare et trop important pour ne pas être signalé.

Il sera le socle même d’une construction démocratique qui a toujours fait défaut au pays. La mouvance Andry Rajoelina, en dépit de son succès rapide pour accéder au pouvoir, est trop jeune et trop disparate pour maîtriser seule le devenir de la nation. La mouvance Ravalomanana, discréditée et jetée méchamment hors du pouvoir survit, mais avec des capacités considérablement amoindries. La mouvance Ratsiraka reprend du poil de la bête après avoir été pourchassée et expulsée du pays par Ravalomanana. La mouvance Zafy (du nom du professeur de médecine qui a présidé l’expérience démocratique des années 1992 à 1996), brimée et traquée sur place par Ravalomanana, est revigorée.

Ces quatre courants occupent chacun de 20 à 25 % de l’échiquier politique et pourront faire fonctionner un système de poids et de contre-poids, le système le plus à même de faire émerger une démocratie et d’assurer une stabilité institutionnelle, gage d’un développement économique continu et durable.

 

L’intérêt des Canadiens

 

Par leur influence directe et par l’organisation de la Francophonie, les Canadiens peuvent contribuer à l’établissement de ce nouvel ordre malgache. Il y va de leur intérêt. Car ce n’est ni la France, ancienne puissance coloniale, ni l’Afrique du Sud, l’économie la plus importante de la zone, ni les États-Unis, première économie du monde, ni la Chine, première réserve de devises de la planète, qui est le premier investisseur à Madagascar.

C’est le Canada qui, en 2007, représentait la moitié des flux d’investissements directs étrangers et le tiers du stock d’investissements étrangers à Madagascar. Cette position de pointe devrait durer, car elle s’appuie sur les investissements dans d’énormes exploitations minières de nickel et de cobalt (Sherritt) ou d’ilménite (Rio Tinto Alcan), pour un total d’investissements à terme de 4 milliards US$, ainsi que sur des projets dans la bauxite et l’alumine (Rio Tinto Alcan), sans compter les explorations d’uranium ou d’or conduites par des structures plus modestes comme Cline Mining Group ou Pecari Mining Group.

 

 

Le devoir
Édition du mercredi 22 avril 2009 
http://www.ledevoir.com/2009/04/22/246836.html