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S’engager

L’auteur de ces lignes, engageant avec l’Observatoire économique francophone une collaboration qui l’honore et traduit son engagement envers la Francophonie, entend rappeler d’abord que l’on ne s’engage pas à la légère.

Tout commence avec le francique, d’où proviennent de nombreux termes de la féodalité. Waddi « dépôt » est devenu l’ancien français gage, « dépôt de garantie ». Fondée sur la parole, la société médiévale s’est donné le moyen de cautionner cette dernière : le gage est la version matérielle de l’otage. Dès le XIe siècle, le verbe dérivé gager désigne cette action. Au siècle suivant il est renforcé par le préfixe en-, qui indique un mouvement : engager (puis s’engager, pronominal) expriment la mise en œuvre d’une action.

Laquelle ? Au sens propre, celle de « mettre en gage » ; on disait au XVIIe siècle engager ses biens à un créancier. On en tire deux emplois dérivés. Celui de « se lier par une promesse » : engager sa responsabilité, s’engager à payer ses dettes.  Celui, ensuite, de « lier quelqu’un (par promesse ou convention) » ; le verbe est alors synonyme d’embaucher : engager une assistante, s’engager dans l’armée pour trois ans.

A partir du XVIe siècle, le verbe engager développe un second emploi, dont on saisit la genèse. Mettre en gage, c’est aliéner un objet ; promettre, c’est aliéner sa liberté : (s’)engager prend dès lors l’acception « (faire) pénétrer dans quelque chose qui retient ». Le verbe devient synonyme d’introduire : engager le levier sous la pierre, s’engager dans un sentier tortueux. On comprend l’emploi figuré « amener à adopter un sentiment » : engager à la patience ; on saisit l’acceptions dérivée courante de nos jours, « commencer, entamer » : engager des négociations, des dépenses, le combat.

Déverbal créé dès le XIIe siècle, engagement a suivi une évolution sémantique comparable, selon les deux grandes valeurs.

L’emploi propre, tout d’abord : un engagement du mont-de-piété. D’où le sens juridique de « lien dû à une promesse, une convention, en vue d’une action ou d’une situation » : engagement irrévocable, formel, tacite.  Du lien par contrat on déduit l’idée d’embauche (être sans engagement) et, à l’armée, de recrutement (prime d’engagement).

L’emploi dérivé, ensuite, qui désigne l’entrée dans un espace resserré ou une situation difficile, faisant perdre liberté de jugement ou d’action, a été particulièrement fécond. Dans le domaine militaire, tout d’abord, qui connaît un sens général (l’engagement des forces disponibles) et une acception particulière, « combat bref et localisé ». En philosophe morale, ensuite, où l’engagement désigne la participation active, de par ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps. Le terme est fort, quasi-physique : on a vu qu’il désigne d’abord un accès malaisé ou périlleux ; il en reste quelque chose dans l’engagement moral : une entrée dans la mêlée, risquée mais résolue, de tout son être, voire de son corps. L’engagement nous engage tout entier : ne mesurons pas notre engagement francophone.