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Euro


Ma boulangère vend son pain de campagne [deux – euros dix centimes]. Elle semble mettre le plus grand soin à ne pas pratiquer la liaison, malgré mes remarques, discrètes il est vrai car son pain est bon. D’où provient cette réticence à ne pas lier ?

Euro fut d’abord un préfixe, en faisant d’ailleurs quelque violence à la langue française. Nous prononçons en effet [Eu – rope] ; euro existe pas en lui-même. Pour que ce préfixe devienne actif en français, à partir des années 1960, il a fallu d’une part la pression de la langue anglaise qui l’avait adopté, d’autre part des modèles préexistants. Notons par exemple qu’un des premières créations fut eurocrate, sur le modèle de bureaucrate et de technocrate. Dès lors la fortune du préfixe euro– fut rapide : d’abord en matière économique eurocrédit, euromarché, eurodollar. Dans le domaine politique ensuite : eurocommunisme, eurodroite, eurostratégie. Il est aujourd’hui un des préfixes les plus vivants de la langue française : je peux créer aisément eurosensibilité, eurotendance, etc.

Toutefois, quand en 1996 euro fut choisi pour désigner la future monnaie unique de l’Union européenne ce préfixe devint un nom. Un euro comme un franc. De nombreux locuteurs restèrent perplexes devant cet objet parlant non identifié : un préfixe devenu substantif. D’autant plus que sur les billets, par neutralité linguistique européenne, euro reste au singulier.  Le considérant avec une certaine distance, beaucoup oublient de pratiquer la liaison : or, on doit dire [trois zeuros], comme [trois zoeufs].

C’était sans doute une phase de transition et d’adaptation. Euro est maintenant intégré à la langue française ; il doit en suivre les règles (liaison, mise au pluriel). L’euroscepticisme, – grammatical -, n’est pas de mise.