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Le multilatéralisme victime de Copenhague ?

Le Sommet de Copenhague a débouché sur une simple déclaration politique, sans aucune valeur en droit international, et qui n’engage aucun Etat en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce résultat n’emballe personne, les appréciations sur son contenu allant de « désastre » à « premier petit pas en avant ».

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A Copenhague, un Sommet de « climato-sceptiques »…

Ce devrait être la « mère de toutes les négociations » : s’appuyant sur les travaux des quelque 2 000 scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), elle a en effet pour objet rien moins que de préserver la Planète d’un réchauffement climatique, aux conséquences catastrophiques, occasionné par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). A part la perspective de la collision d’une météorite géante avec la Terre, dont une réunion internationale d’astrophysiciens aurait calculé la date précise et s’efforcerait de trouver les moyens de l’empêcher, on voit mal quel enjeu pourrait être plus vital que celui du Sommet de Copenhague qui vient de commencer et qui s’achèvera le 18 décembre.

Tout est en place dans la capitale danoise, notamment un barnum médiatique et une mobilisation des ONG sans précédent, pour que la conférence débouche sur des résultats concrets quant à la maîtrise, puis à la réduction drastique du volume des émissions de GES.

Dans le discours, les 193 gouvernements représentés s’inscrivent dans la logique des inquiétantes conclusions du GIEC. La réalité oblige cependant à dire qu’ils se comportent pratiquement tous en « climato-sceptiques ». Là où l’on attendrait le souffle unanimiste d’une Nuit du 4 Août planétaire, on est en présence d’une négociation parfaitement classique, presque routinière, et qui peut prendre son temps : si aucune série d’engagements contraignants n’est prise en 2009, on attendra 2010. D’ici-là, les GES sont priés de s’auto-discipliner…

La dramatisation de la menace climatique est de peu d’effet sur les pesanteurs politiques et économiques immédiates. Chacun sent bien que, à terme rapproché, ce qui est en jeu c’est tout le modèle de développement du Nord. Mais un modèle auquel aspirent également les autres pays… On a beau expliquer, à partir du concept d’ « empreinte écologique », que la généralisation de l’American Way of Life consommerait les capacités de production et d’absorption des déchets de 5 Terres (celle de la France 2,7 Terres, et celle du monde tel qu’il est aujourd’hui 1,4 Terre), les mesures proprement révolutionnaires que devrait entraîner ce constat font paniquer les dirigeants. En premier lieu, évidemment, ceux des pays les plus gaspilleurs de ressources. Les autres sont légitimement en droit d’exiger que, à ce stade, les sacrifices à consentir soient très inégalement répartis pour arriver un jour à une égalité d’empreinte écologique, pas seulement entre pays, mais aussi entre habitants d’un même pays.

Cette recherche de l’égalité entre habitants de la Terre, la seule pourtant susceptible d’éviter des conflits et des situations cataclysmiques, certains prévus et déjà amorcés (par exemple pour l’accès à l’eau), les autres encore imprévisibles mais néanmoins certains, est totalement contradictoire avec les logiques dominantes à ce jour. D’où viendra le sursaut ? Copenhague le facilitera-t-il ?

Bernard CASSEN, Professeur émérite- Université Paris 8

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Une grande victoire de Bruxelles

« Etre capable d’arrêter la circulation à Pékin et à Moscou », tel était le profil proposé par David Miliband, ministre britannique des affaires étrangères, pour l’un des deux nouveaux postes créés par le traité de Lisbonne, celui de président permanent du Conseil européen (un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois), l’autre étant celui de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Il pensait évidemment à son ami Tony Blair, soutenu jusqu’au dernier moment par Gordon Brown, son successeur au 10 Downing Street.

En fait, la candidature Blair était par avance « plombée » par le soutien de l’ancien premier ministre à George Bush, et notamment à l’invasion de l’Irak qui a débouché sur le fiasco que l’on connaît. Surtout, elle ne correspondait pas au portrait-robot du président du Conseil européen que les dirigeants des grands Etats avaient en tête, et qui correspondait davantage à celui d’un président de séance dégageant des consensus lors d’une réunion qu’à une figure de haute volée au plan international. Le paradoxe est que telle était précisément la position de Londres. Alors pourquoi avoir proposé Tony Blair ?

Aucune des deux réponses possibles n’est vraiment à l’avantage de Gordon Brown : ou bien il savait parfaitement que son ancien rival n’avait aucune chance de l’emporter, et cela ne lui coûtait donc rien de le défendre ; ou bien il voulait « atlanticiser » encore davantage l’Union européenne en plaçant à sa fonction la plus en vue un inconditionnel des « relations spéciales » avec les Etats-Unis. Les mauvais esprits auront remarqué que David Miliband, blairiste entre les blairistes, pensait à faire « arrêter la circulation » dans les capitales de la Chine et de la Russie, mais pas à Washington ou à New-York…

Le 19 novembre, en nommant l’actuel premier ministre belge, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept ont réussi le tour de force de satisfaire à la fois les partisans de la supranationalité (le nouveau promu est un fédéraliste convaincu, pas seulement pour son pays) et les tenants de l’intergouvernementalité : on voit mal, en effet, le parfait inconnu hors de Belgique qu’est M. Von Rompuy faire de l’ombre à Gordon Brown, Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy. Sa personnalité et le contenu qu’il donnera à une fonction définie de manière très générale par le traité de Lisbonne, restent cependant à découvrir.

Cela est encore plus vrai de la nouvelle Haute représentante, Catherine Ashton, à peine connue dans son propre pays, le Royaume-Uni, où elle ne s’est jamais présentée à une élection. Il y a un an, elle avait été désignée par Gordon Brown pour remplacer à Bruxelles le commissaire Peter Mandelson, rappelé au gouvernement. Ce faisant, le premier ministre obtient bien davantage que ce qu’il avait fait semblant de perdre avec l’échec de la candidature Blair : la haute main britannique sur toute l’action extérieure de l’Union européenne, avec les considérables moyens dont elle est dotée : une sorte de corps diplomatique autonome d’environ 5 000 fonctionnaires et disposant d’un budget annuel de l’ordre de 6 milliards d’euros.

Dans les quelque 130 pays où la Commission dispose déjà d’une délégation, ses budgets de coopération sont très souvent supérieurs au total cumulé de ceux des 27 Etats membres, et ils sont fréquemment utilisés sans la moindre concertation avec les ambassades de ces derniers. Sachant faire leurs comptes, les responsables des pays hôtes ne s’y trompent pas : ils appellent volontiers « ambassadeur » celui ou celle qui est seulement le délégué de la Commission, et non pas le représentant d’un Etat européen inexistant. Désormais, le délégué aura la double légitimité du statut de Catherine Ashton : celle du Conseil, qui l’a nommée, et celle de la Commission, dont elle sera la vice-présidente. De plus, la Haute représentante coordonnera l’activité de ses collègues touchant de près ou de loin aux relations extérieures : les commissaires au commerce, au développement, à la politique de voisinage.

La rationalité de la politique extérieure de l’Union européenne, prise au sens large, y gagnera certainement. Mais, vis-à-vis des pays tiers, la dynamique qui l’impulsera sera celle de la Commission, qui s’y consacre à plein temps, et non pas celle des gouvernements des Etats membres qui ne sont que des intervenants occasionnels. C’est une grande victoire pour l’exécutif bruxellois dont la première préoccupation a toujours été d’échapper à la tutelle des Etats membres, et dont l’ambition est d’être « le » gouvernement de le l’Europe, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières de l’Union …

Bernard CASSEN, Professeur émérite- Université Paris 8

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Un prix Nobel de la parole

L’attribution du prix Nobel de la paix à Barack Obama a un caractère quelque peu insolite, malgré la sympathie dont bénéficie personnellement le nouveau président des Etats-Unis dans les opinions publiques de la quasi totalité des pays du monde. D’ordinaire, une haute distinction internationale, que ce soit la médaille Fields pour les mathématiques, le prix Nobel de médecine ou le prix Nobel de la paix sanctionne une œuvre accomplie et reconnue. Dans le cas d’Obama, rien de tel, et pour cause : en moins d’un an d’exercice du pouvoir, il n’a matériellement pas eu le temps de faire aboutir l’un quelconque des immenses chantiers qui sont devant lui. Son prix Nobel est donc une récompense anticipée pour la réalisation de grands travaux qui, pour l’heure, en sont essentiellement au stade du discours et des déclarations d’intention.

On dira à juste titre que le verbe est déjà de l’action, qu’il n’est pas négligeable que les Etats-Unis se prononcent en faveur d’une approche multilatérale pour régler les affaires du monde, qu’ils préconisent le désarmement nucléaire et qu’ils tendent la main à l’islam, au lieu de l’appréhender à travers le prisme de la « lutte contre le terrorisme », marque de fabrique des années Bush. A lui seul, ce nouveau balisage de la scène mondiale peut faire bouger les lignes géopolitiques et désamorcer ou au moins freiner des processus de confrontation. Ce n’est déjà pas si mal.

Il faut cependant se garder de l’illusion que le président des Etats-Unis aurait les mains libres pour agir. Il doit en particulier composer avec l’énorme puissance de lobbies qui font la pluie et le beau temps au Congrès, et avec des secteurs de l’administration – en premier lieu le Pentagone – qui ont leur politique propre, parfois en opposition à celle d’autres secteurs. La Maison Blanche est loin d’être le seul centre du pouvoir à Washington. D’où des signaux contradictoires donnés à l’opinion internationale. Ainsi, au moment où est annoncé le renoncement au « bouclier » anti-missiles en République tchèque et en Pologne, vécu comme une provocation par la Russie, est confirmée l’installation de sept nouvelles bases militaires américaines en Colombie. Or la quasi totalité des pays d’Amérique du Sud, et tout particulièrement le Brésil, voient dans ce renforcement de la présence armée des Etats-Unis dans la région une atteinte directe à leur souveraineté.

Autre exemple d’inconséquence : alors que, dans son très habile discours d’acceptation de la décision du comité Nobel, Barack Obama évoque « la menace grandissante représentée par le changement climatique », ses négociateurs, contrairement à ceux de l’Union européenne, se refusent pour l’instant à prendre le moindre engagement contraignant sur le volume des émissions de gaz à effet de serre. Au risque de faire échouer la conférence de Copenhague convoquée en décembre prochain. Le Proche-Orient ne fait pas exception à ces contradictions : le président peut bien évoquer « les droits de tous les Israéliens et Palestiniens à vivre dans la paix et la sécurité dans des pays à eux », son envoyé spécial dans la région , George Mitchell, est bien incapable d’obtenir du gouvernement Netanyahou ne serait-ce que le gel des colonisations israéliennes en Cisjordanie. Les autorités de Jérusalem savent parfaitement que l’administration Obama n’a pas, aux Etats-Unis, la marge de manoeuvre politique suffisante pour exercer la pression qui les ferait plier.

Au niveau international, le prix Nobel de la paix renforce certainement la main de Barack Obama, mais il en faudra beaucoup plus pour que le président soit en mesure de passer de la parole aux actes.

Bernard CASSEN, Professeur émérite- Université Paris 8

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Référendum en Irlande : oui au beurre et oui à l’argent du beurre

Si, le 2 octobre, les électeurs irlandais se sont très majoritairement prononcés pour le « oui » au traité de Lisbonne – après lui avoir dit « non » en juin 2008 -, il serait quelque peu exagéré d’y voir une « victoire de l’Europe », comme l’on fait certains commentateurs. Car cette inversion du résultat , loin de traduire une adhésion positive à un projet européen partagé, consacre au contraire la légitimité d’un « exceptionnalisme » national, d’une sorte d’Union européenne à la carte.

Pour faire gagner le « oui », le Conseil européen et le gouvernement de Dublin avaient ciblé leurs promesses (maintien de l’interdiction de l’avortement, « droit » au dumping fiscal) sur la fraction la plus conservatrice de l’électorat de la République. Ils avaient par ailleurs pris des libertés avec le traité lui-même en garantissant la nomination d’un commissaire irlandais. Force est également de constater que, dans le contexte de crise économique et sociale sans précédent que traverse l’Irlande, les perspectives d’aide financière de la Commission et l’engagement massif des milieux d’affaires, en premier lieu celui des grandes entreprises (Ryanair, Intel) et de l’ensemble des médias ont été décisifs.

De ce point de vue, les électeurs ont davantage voté pour une « Europe qui protège » que pour le principe de la « concurrence libre et non faussée ». Ce faisant, ils sont plus proches des conceptions que proclame Nicolas Sarkozy que de celles de la Commission, de la Banque centrale européenne et de la plupart des gouvernements des autres Etats membres. L’enjeu de ce référendum était tel que ces derniers ont tous fermé pudiquement les yeux sur le caractère contradictoire des arguments des partisans du vote « oui » : le beurre de la spécificité nationale et l’argent du beurre communautaire.

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