Langue française

Comorbidité, cluster, tracking

La crise sanitaire a fait entrer dans la langue commune des termes jusque-là spécifiques à la langue médicale. Ils portent en eux des traits propres à cette langue.

D’une part, un emploi étymologique. C’est le cas de comorbidité, qui peut être mal interprété. Depuis les années 1830, l’adjectif morbide a le sens de « malsain, qui possède un goût pour l’anormal ». Il s’agit toutefois d’un emploi figuré de l’adjectif issu du latin morbidus, « malade », : morbide désigne ce qui est relatif à la maladie. Le substantif morbidité,

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Langue française

Faut-il dire le ou la covid 19 ?

Covid est l’acronyme de corona virus disease. On ajoute 19 à cause de la date de sa découverte : 2019.

Les acronymes prennent en général le genre du nom qui constitue le centre de l’expression qu’ils abrègent.  On dit ainsi la S.N.C.F., pour la Société nationale des chemins de fer français). Quand il s’agit d’acronymes anglais, on procède par traduction. On dit le FBI, pour Federal Bureau of Investigation, bureau se traduisant aisément par bureau. Mais ce sera la CIA, pour Central Intelligence Agency, du fait de la transposition d’agency  en agence.

Corona virus disease signifie « la maladie du virus corona ».  Le terme important est disease, que l’on traduit naturellement par le féminin maladie. Il faudrait donc dire la covid 19 : c’est une maladie.

Telle est l’argumentation de l’Académie française ; elle est impeccable.

Le problème est que l’emploi au masculin est généralisé. Pourquoi ? Parce qu’on a parlé d’abord ducorona virus (qui est un virus). Puis, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque.

Au Canada, toutefois, où la confrontation du français et de l’anglais est quotidienne, on entend la covid 19 ; c’est notamment le genre qu’emploient de préférence les journalistes.  

L’Académie française réussira-t-elle ? Les chaînes publiques semblent avoir opté pour la Covid.  L’Académie parviendra-t-elle à corriger l’usage français au nom d’un emploi québécois ? Ce serait vraiment un scoop. Oh ! pardon : une primeur.

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Langue française

Résilience

Le verbe latin resilire était formé du préfixe re-, « en arrière » et de salire, « sauter ». Il signifiait « sauter en arrière, rebondir ». Resilire eut en français une double postérité.  D’un côté la résiliation, de l’autre la résilience ; ne les confondons pas.
En latin juridique, resilire avait pris le sens de « renoncer ». A la Renaissance, le français des juristes en a fait le verbe résilier, qui signifie « mettre fin à un contrat, une convention ». D’où la résiliation, et l’adjectif résiliable.
Par ailleurs, au XVIIe siècle, la langue anglaise, sur le participe présent latin resiliens, « bondissant », a fait l’adjectif resilient, de même sens, puis qui s’est dit d’un métal présentant une résistance au choc. Le substantif dérivé, resilience, a désigné la résistance aux chocs d’un matériau. Ils sont passés en français au début du XXe siècle. Nos résilient et résilience sont donc des anglicismes ! 
On les a employés longtemps en physique des matériaux. Ils y désignent proprement la capacité à revenir à sa forme antérieure, après une pression, un choc : on parle d’un coefficient de résilience
C’est dans cet emploi que, dans les années 1990, Boris Cyrulnik a importé le terme en psychologie, pour désigner la capacité d’un être à surmonter les chocs traumatiques de sa psyché. Par extension, résilience se dit de la force morale d’une personne qui ne se décourage pas. Par exemple : « Dans ce deuil, elle a su faire preuve d’une grande résilience ». 
Mais n’oublions pas le sens propre : la résilience, c’est la capacité de se reconstruire, que l’on soit un matériau ou un humain, de revenir à sa forme antérieure. On parle beaucoup de résilience, actuellement. Mais après cette pandémie, doublée d’une récession, serons-nous vraiment comme avant ? Evoquer notre résilience ne manque pas de courage, – mais fait preuve d’un grand optimisme.

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Conjoncture et conjecture

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.

Je n’aime pas, mais alors pas du tout, que l’on confonde la conjoncture et la conjecture.

Certes les deux mots sont savants, et ils se ressemblent ; mais leur emploi et leur sens n’ont aucun rapport.

Dans conjoncture, il y a fondamentalement l’idée de joindre. La conjoncture, c’est au départ la liaison d’événements concomitants, dans une situation donnée. On parle de fatale ou d’heureuse conjoncture ; on traite de la conjoncture politique, syndicale, etc. Cependant, depuis le XXe siècle, le sens de conjoncture s’est précisé ; ce terme désigne habituellement la situation économique ou financière ; on parlera, par exemple, de fléchissement de la conjoncture.

Rien à voir avec la conjecture, qui fut empruntée au XIIIe siècle au latin conjectura, de cum « avec » et jacere « jeter », c’est-à-dire « le fait de jeter ensemble », et donc de combiner dans l’esprit, d’imaginer. Une conjecture, c’est une idée que l’on s’est formée. Si elle n’est pas vérifiée, on parlera de conjecture chimérique, ou gratuite. La conjecture en somme, c’est une hypothèse que l’on forme quand on est dans l’incertitude.

La conjoncture est donc claire : ces deux termes n’ont rien à voir. Pourquoi les confond-on ? Je me perds en conjectures.

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Acquis et acquit

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.

Je n’aime pas, mais alors pas du tout, que l’on confonde l’acquis (avec s final) et l’acquit (avec t final).

Le premier est le participe passé du verbe acquérir, qui signifie « se procurer ». Ce participe passé est vivant depuis le début de la langue : il a acquis une célébrité, il est acquis à la cause royale, etc. Le substantif acquis apparaît au XVIIe siècle, dans la langue philosophique ; il désigne alors le fruit de l’expérience. Comme on le sait, l’acquis s’oppose au naturel et plus précisément à l’inné ; il renvoie à des qualités, à des connaissances inexistantes au moment de la naissance. C’est la querelle, ou la dialectique, de l’inné et de l’acquis.

Le second prend un t final, car il provient du verbe acquitter. Ce très vieux verbe avait d’abord le sens général de « libérer » quelqu’un ou un pays ; il a pris ensuite la signification plus restreinte de « libérer d’une dette ». D’où acquitter une dépense et s’acquitter d’un impôt ou d’une tâche. C’est au XIXe siècle que ce verbe a signifié « affranchir quelqu’un, en le déclarant non coupable ». Le déverbal acquit renvoie au sens ancien d’acquitter ; il est synonyme de quittance. Effectuant un règlement, vous faites précéder votre signature de l’expression pour acquit. La langue usuelle garde un l’emploi figuré de ce terme, désignant un acte fait sans conviction, afin de se délier de ses scrupules : par acquit de conscience.

Les deux termes renvoient à des domaines fort différents. Leur distinction, j’espère, est désormais acquise.

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