Langue française

Un emploi inopportun d’opportunité

L’emploi du mot opportunité au sens d’« occasion » est devenu courant, notamment dans la langue des affaires ; il est néanmoins regrettable.En latin, l’adjectif opportunus, formé sur ob (vers) et portus (le port) qualifiait le vent. Il désignait un vent qui vous pousse vers le port, et est donc particulièrement favorable et utile.
Au XIVe siècle, le français a calqué sur le latin opportunus l’adjectif opportun, qui signifie: « ce qui est bienvenu, favorable, et qui convient ».
Ont dit depuis : il est opportun,

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Langue française

Courriel

Pour désigner un message électronique, si vous souhaitez éviter l’anglais e-mail, plusieurs possibilités s’offrent à vous.

Message ou courrier électroniques sont possibles, mais est un peu lourds.

On entend beaucoup une adaptation du terme anglais, par chute du préfixe et prononciation plus ou moins française : un mail. « J’ai eu ton mail ! ».

Que faut-il en penser ? Plutôt du bien, pour des raisons historiques. Le mot anglais mail, « courrier », provient de l’ancien français malle, qui désignait un sac de cuir ; aujourd’hui, c’est plutôt un coffre de bois ou de fer. Ce sac de cuir servait principalement à transporter des lettres ; pensons à la malle- poste, voiture postale pouvant accueillir quelques voyageurs ; quant à la malle des Indes des romans et des films, c’était tout simplement le service régulier de courrier entre l’Europe et l’Inde. Adopter le terme mail pour désigner un courrier électronique, revient donc à reprendre à la langue anglaise ce qu’elle nous a emprunté. Une fois de plus…

Cette adaptation, toutefois, est phonétiquement délicate ; faut-il prononcer : /mèl / ou /mèyl / ?

C’est pourquoi je recommande cette splendide invention québécoise : le courriel.

Le terme présente tous les avantages : il est transparent (courrier électronique), il met en œuvre le suffixe –iel, désormais régulier en informatique (logiciel, progiciel, didacticiel), il permet de former, pourquoi pas, le verbe courrieller (« Je te courrielle cela dès que possible »). Enfin, il rend imaginatif. Afin de traduire l’anglais spam, qui désigne un message électronique commercial non désiré, (et qui vous arrive en rafale, comme la vieille publicité pour le jambon en boîte Spam), quelqu’un a inventé le superbe pourriel : c’est un courriel pourri. Rendons hommage à cet inventeur anonyme ; il illustre joliment la vitalité du français Et courriellons avec ardeur !

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Le travail sur la sellette

« Fin du travail », comme nous la promettaient des sociologues mal inspirés ? Transformation profonde du travail sous l’effet du numérique, plus vraisemblablement. En tous les cas, le travail est sur la sellette

Les deux mots sont voisins.

Sellette, comme sellier et sellerie est un dérivé de selle. Il désigne en ancien français un petit tabouret, sur lequel notamment on asseyait l’accusé pour l’interroger. Et, comme on sans doute, les mœurs de l’époque n’étant pas des plus douces, selon un interrogatoire musclé ; ce que l’on appelait alors « mettre à la question ». Être sur la sellette signifie donc « se faire maltraiter dans un but d’aveu », et par suite « être soumis aux critiques, aux pressions » ; plus généralement, « se trouver dans une situation peu confortable ».

Le travail a une origine fort voisine. Il est issu du latin trepalium, « trépied », qui désignait un instrument de torture. Il a par suite le sens de fatigue et de douleur dans toute l’ancienne langue, où il était synonyme de peine. On disait par exemple se travailler pour exprimer un effort physique violent : un bûcheron se travaillait.

La langue actuelle a gardé la trace de cette signification ancienne et courante. Ainsi, l’appareil auquel on attache un cheval pour le ferrer s’appelle toujours un travail, Et surtout, en médecine, travail désigne les douleurs de l’accouchement : on parle de travail d’enfant, de salle de travail et de femme en travail.

C’est seulement vers le XVe siècle que travail a commencé à signifier « activité productrice et rémunérée », éliminant labeur. Mais cette activité est toujours pénible, comme on le voit au pluriel dans travaux forcés, ou en psychanalyse dans travail de deuil. Et comme on le vérifie tous les jours…

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Achalandé

Un jeu auquel je vous invite à vous livrer : demandez à vos confères, à vos amis ce que signifie un magasin bien achalandé. Ils ne manqueront pas de vous répondre: « C’est une boutique bien approvisionnée en marchandises, nombreuses et variées ».

Tel est l’avis quasi général, et peut-être le nouvel usage ; mais cette acception est contraire à l’histoire de la langue.

Qu’est-ce qu’un chaland, quand il ne s’agit pas d’un bateau plat circulant sur un canal ? Longtemps écrit avec un t final, chaland est le participe présent du verbe chaloir. Ce vieux verbe signifiait « importer » ; on le retrouve dans peu me chaut (« peu m’importe »), et dans nonchalant (« insouciant »).

Un chaland en ancien français c’est donc un ami protecteur, un compagnon fidèle, un amoureux, et par suite un client régulier. C’est bien à mes yeux le sens propre de chaland : un bon client.  On peut dire par plaisanterie : cette femme a de nombreux chalands.

Achalander signifie donc « pourvoir un commerce d’une clientèle à la fois abondante et régulière ». Être achalandé, c’est donc bénéficier de nombreux clients.

S’ils sont fidèles c’est sans doute parce que la boutique est bien approvisionnée : on passe ainsi d’un sens à l’autre.

Il faut cependant, je crois, conserver le sens propre d’achalandé. Il est conforme à l’histoire du français ; il peut être encore vivant : l’achalandage, au Québec, c’est tout simplement le shopping.

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S'engager

L’auteur de ces lignes, engageant avec l’Observatoire économique francophone une collaboration qui l’honore et traduit son engagement envers la Francophonie, entend rappeler d’abord que l’on ne s’engage pas à la légère.

Tout commence avec le francique, d’où proviennent de nombreux termes de la féodalité. Waddi « dépôt » est devenu l’ancien français gage, « dépôt de garantie ». Fondée sur la parole, la société médiévale s’est donné le moyen de cautionner cette dernière : le gage est la version matérielle de l’otage. Dès le XIe siècle, le verbe dérivé gager désigne cette action. Au siècle suivant il est renforcé par le préfixe en-, qui indique un mouvement : engager (puis s’engager, pronominal) expriment la mise en œuvre d’une action.

Laquelle ? Au sens propre, celle de « mettre en gage » ; on disait au XVIIe siècle engager ses biens à un créancier. On en tire deux emplois dérivés. Celui de « se lier par une promesse » : engager sa responsabilité, s’engager à payer ses dettes.  Celui, ensuite, de « lier quelqu’un (par promesse ou convention) » ; le verbe est alors synonyme d’embaucher : engager une assistante, s’engager dans l’armée pour trois ans.

A partir du XVIe siècle, le verbe engager développe un second emploi, dont on saisit la genèse. Mettre en gage, c’est aliéner un objet ; promettre, c’est aliéner sa liberté : (s’)engager prend dès lors l’acception « (faire) pénétrer dans quelque chose qui retient ». Le verbe devient synonyme d’introduire : engager le levier sous la pierre, s’engager dans un sentier tortueux. On comprend l’emploi figuré « amener à adopter un sentiment » : engager à la patience ; on saisit l’acceptions dérivée courante de nos jours, « commencer, entamer » : engager des négociations, des dépenses, le combat.

Déverbal créé dès le XIIe siècle, engagement a suivi une évolution sémantique comparable, selon les deux grandes valeurs.

L’emploi propre, tout d’abord : un engagement du mont-de-piété. D’où le sens juridique de « lien dû à une promesse, une convention, en vue d’une action ou d’une situation » : engagement irrévocable, formel, tacite.  Du lien par contrat on déduit l’idée d’embauche (être sans engagement) et, à l’armée, de recrutement (prime d’engagement).

L’emploi dérivé, ensuite, qui désigne l’entrée dans un espace resserré ou une situation difficile, faisant perdre liberté de jugement ou d’action, a été particulièrement fécond. Dans le domaine militaire, tout d’abord, qui connaît un sens général (l’engagement des forces disponibles) et une acception particulière, « combat bref et localisé ». En philosophe morale, ensuite, où l’engagement désigne la participation active, de par ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps. Le terme est fort, quasi-physique : on a vu qu’il désigne d’abord un accès malaisé ou périlleux ; il en reste quelque chose dans l’engagement moral : une entrée dans la mêlée, risquée mais résolue, de tout son être, voire de son corps. L’engagement nous engage tout entier : ne mesurons pas notre engagement francophone.

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