Langue française

Finaliser

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.  Je n’aime pas, mais alors pas du tout, l’emploi actuel du verbe finaliser : « L’accord a été finalisé », c’est-à-dire qu’il a été bouclé et conclu.

Le verbe finaliser est apparu au début du XXe siècle, dans la langue philosophique. Il est formé sur le mot fin, au sens de but. C’est la signification que l’on rencontre dans : parvenir à ses fins, afin que et la fin justifie les moyensFinaliser signifie donc : « assigner un but ».

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Point de vue des économistes

La Crise de l’Abondance

Par Francois-Xavier OLIVEAU, diplômé de Centrale, de Sciences-Po et d’Harvard, Conseil en transition Ecologique et auteur lauréat du Grand Prix du Jury du Prix TURGOT pour son ouvrage « Microcapitalisme» paru en 2017 (PUF)  – L’ Observatoire – 318 pages

L’Abondance est restée longtemps comme rien d’autre que l’un des grands mythes de l ’Humanité.  Depuis la nuit  des  temps, la réalité quotidienne de la condition humaine était plutôt  faite de Rareté et l’exigence de la survie alimentait largement  les préoccupations de tous les instants  :

L’abondance c’est l’assurance de ne pas connaître la disette, la malnutrition,  mais la logique de « la Corne d’abondance » voudrait qu’elle soit  satisfaite  par une juste et maîtrisée quantité de production.  

Par son génie, les découvertes, les  innovations et  les progrès qu’il a su entreprendre, l’ être humain a su s’offrir une entrée dans ce pays de Cocagne : il a appris «à mieux exploiter les terres, à repousser la faim et le froid, à accéder à l’ instruction et à inventer la  Société de consommation et de loisirs ». 

Comme l’avait pu imaginer dès 1930 le grand Maître John Meynard Keynes : « le problème  économique peut être résolu d’ici cent ans, disait –il … ainsi l’homme pourra pour la première fois depuis sa création faire face à ce problème : comment occuper cette  liberté arrachée aux contraintes économiques, comment occuper les loisirs que la  science et les intérêts composés auront conquis pour lui.. de manière agréable  sage  et bonne ? .. mais nous ne pourrons voir  venir l’ère de l’oisiveté et de l’ abondance sans  craintes .. car nous avons été  entrainés pendant trop longtemps à faire ..effort et non à jouir … ». 

Si  la mondialisation- globalisation  nous a permis d’oublier largement nos peurs primitives                        «disparaître , manquer , souffrir»,  elle en a fait naître de nouvelles en même temps qu’apparaissaient de nouveaux  défis  en termes d’égalité, de solidarité, de protection de l’environnement et des ressources  de la Planète… des problèmes de riches, en  effet, mais pas  seulement ! 

Certes, nous travaillons de moins en moins, nous vivons de plus en plus longtemps, les prix baissent,  l’argent bon marché coule à flots, les ressources minières contrairement à une idée reçue ne sont pas rares  et l’accès aux biens élémentaires progresse, bien qu’encore trop lentement, partout  dans le monde. L’humanité n’a jamais été aussi riche, ce qui a autorisé cette réflexion du Président Obama : « ..si vous aviez à choisir n’importe quel moment dans l’histoire pour naître, sans savoir vos conditions de naissance, vous choisiriez maintenant.. »

Mais l’Abondance n’évite pas les  crises… et François- Xavier Oliveau en met  trois principales en lumière :

– la  crise de la Terre : « … Nous avons réussi ce paradoxe de rendre abondantes des ressources finies.. » .. mais les sols sont endommagés et pollués par la façon dont nous les exploitons et les océans abriteront bientôt (2050) plus de plastiques que de poissons…                                                                 ….l ‘écosystème est en souffrance. 

– la seconde  crise est celle de l’Argent : la monnaie coule à flots mais  le monde est surendetté, et c’est la richesse des mieux nantis qui,  à travers la valorisation des actifs progresse le plus ; tandis que les inégalités s’accroissent et qu’une partie de l’humanité reste dans la précarité relative.

Troisième crise, celle de l’Homme : de sa place dans la société par le travail, face au télétravail , à l’intelligence artificielle, aux robots ; la peur de la fin du  travail et/ou de la perte de sa « valeur » se  substitue à nos peurs primitives : une  crise à la fois économique et morale est devant nous.

L’auteur propose des éléments de réponse pour traiter ces  trois crises majeures, simultanées, aux enjeux immenses, qui font peser le risque de voir basculer une frange entière de la population dans le  déclassement et la révolte … confère les Gilets  jaunes. Dans ces analyses très fines économiques, sociologiques  et sociétales, parfaitement  documentées,  marquées de l’ empreinte de la pensée de « l’ingénieur », l’auteur  identifie les mécanismes de l’abondance et propose de nouveaux outils à mettre à l’œuvre pour l’apprivoiser :

 « .. la principale  révolution est mentale… elle  consiste à regarder de façon radicalement différente les  concepts ancrés dans nos inconscients liés aux  temps de la  rareté, avec le travail , l’inflation la  déflation, la croissance  etc.. ». Le fil d’Ariane de ses propositions s’appuie  sur  une logique  constante  : il faut  distribuer l’abondance : un dividende monétaire (donner de l’argent à tous ) ,               «..  une idée invraisemblable mais une histoire sérieuse…» qui  s’inscrit sur une ligne voisine de la théorie de la « monnaie hélicoptère » et par extension  de celle du «revenu universel» :  il  s attache  méticuleusement et de façon  très convaincante à en lever les principales objections, financières et  morales par ce  raisonnement nouveau, celui de  de l’abondance, qui  succèderait radicalement à celui de la rareté. C’est une urgence, considère l’auteur  « … car le situation politique et sociale dans les pays riches aura tout d’une poudrière. Un  tel  creusement des  inégalités (et la crise de la Covid l’a  accentuée) ne peut qu’alimenter tous les délires, toutes les tentations populistes. Les élites  qui auront laissé progresser une situation injuste, faute  d’avoir compris les  règles de l’abondance seront  rejetées…». La  crise de l’ abondance exige d’en déduire des politiques radicalement nouvelles.

Dans ce nouvel et stimulant  essai, François-Xavier OLIVEAU apporte de la rationalité, dans une approche rigoureuse « d’ingénieur », sur un sujet qui le plus souvent prête le  flanc à  toutes formes  de dogmatismes, politiques,  économiques ou moraux. Il rejette à la  fois l’idée «… d’une impossible croissance infinie » et  d’une décroissance mortifère, en  esquissant les grandes lignes  d’une  troisième voie  celle  d’une gestion plus juste et plus  intelligente de l’abondance.               

«. ..la pression sur les prix liée à la crise de 2020 appelle à la mise en place des dispositifs d’injection monétaires. La première Banque Centrale qui osera le faire sera… rapidement copiée par les autres, sous un format ou sous un autre, l’injection monétaire directe s’étendra alors rapidement et deviendra la brique de base des politiques monétaires au XXIe siècle. ».

Immanquable, pour tous public.

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Langue française

Décade et décennie

Ne craignons pas d’être un peu puriste ; à bon escient du moins.

Je n’aime pas, mais alors pas du tout, que l’on confonde la décade et la décennie.

La seconde est transparente ; on n’y entend le mot latin annus, c’est-à-dire l’année. Une décennie est une durée de dix ans.

Les choses sont moins claires, il est vrai, avec décade. Contrairement à ce que l’on pense, celle-ci ne provient pas du latin dies, « le jour ». Le mot fut emprunté au XIVe siècle au bas latin decada, adaptation du grec dekados, et signifiant comme lui « dizaine ». De fait, jusqu’au XVIIIe siècle, décade peut désigner une période de dix ans, de dix mois, de dix jours. C’est la Révolution française qui va fixer le terme dans ce dernier sens. En effet la Convention, adoptant en 1793 un nouveau calendrier, appelé « républicain », introduit la décade : cette nouvelle semaine comporte dix journées, la dernière étant le décadi (comme lundimardi etc.).

Le sens de décade s’est depuis fermement établi : à la banque, un relevé décadaire d’un compte s’effectue tous les dix jours.

L’anglais decade, qui reste conforme à l’étymologie, signifie aussi, et le plus souvent, « période de dix années ». À l’évidence cet emploi est en train de contaminer le mot français.

Il faut, je crois, résister à cet anglicisme ; pour deux raisons. D’une part il est commode de disposer en français de deux mots, signifiant respectivement les deux durées. Ensuite, en hommage à l’esprit rationnel de la Révolution française, qui nous a donné le litre, le kilomètre, et une semaine de congés de … dix jours.

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Langue française

Saboter

Dans la trame des mots de la langue courante s’aperçoit l’image de la société ancienne. Prenez les mots saboter et sabotage ; pense-t-on, en les employant, au mot sabot ?

Ils proviennent pourtant de cette chaussure rudimentaire faite de bois. Saboter a signifié, tout naturellement, « fabriquer des sabots » ; le sabotage était alors synonyme de saboterie. Plus intéressant saboter a eu le sens de « faire du bruit avec ses sabots », puis de « marcher lourdement, grossièrement ».

Au sabot s’associe l’idée de naïveté rurale (avoir les deux pieds dans le même sabot), voire de rusticité épaisse (jouer comme un sabot). On comprend que le verbe ait pris, au début du XIXe siècle, la signification d’accomplir maladroitement sa tâche.

C’est à la fin du XIXe siècle qu’une intention maligne apparaît dans le terme. On relève dans le Père peinard, journal révolutionnaire, en date du 19 septembre 1897 les mots saboter et sabotage, au sens de « destruction clandestine du matériel de l’entreprise ».

Certains historiens de la langue ont imaginé des ouvriers lançant leurs sabots dans la machine, ou des « canuts » endommageant ainsi leur métier à tisser. Cette explication romanesque a le seul défaut de manquer de preuves. L’histoire sociale ne nous fournit aucun exemple d’un tel « sabotage », qui aurait justifié l’expression.

Il faut à mon avis partir de l’emploi courant de saboter au sens de « gâcher, bâcler son travail ». Il était facile à la pensée révolutionnaire d’adjoindre une intention délibérée à ce sabotage.Restons prudents. La recherche étymologique est passionnante, elle excite l’imagination. Mais elle ne doit pas procéder avec de gros sabots.

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Point de vue des économistes

Éthique et économie : Comment sauver le libéralisme ?

Sous la direction de Bernard ESAMBERT, Actes de la Fondation 2012-2019, Humensis – 361 pages

Cette turbulente année 2020, avec son cortège de brumes sanitaires s’achève avec cette lueur d’espérance portée par la très remarquable publication des actes de la Fondation «Éthique et Économie».

Organisé sous la direction de Bernard Ésambert sous l’égide de l’Académie des Sciences morales et politiques avec le soutien du Président Bertrand Collomb, ce cycle de conférences tenu à l’Institut a été prolongé par les rapports de (5)  groupes de travail sur les différents aspects du sujet et publié en 2019. L’addition de ces travaux permettait de proposer une réflexion très approfondie (dont les actes ont été rendus disponibles), sur « l’éthique du système d’économie libéral » appelé aussi… capitalisme.                        

Sensibiliser, responsabiliser et faire agir les grands décideurs de la Planète sur ce thème dont moult événements nous rappellent quasi quotidiennement l’actualité douloureuse, est devenu pour l’homme « d’une vie d’influence ».

La richesse de son parcours, qui lui a fait connaitre intimement les pratiques des hautes sphères politiques comme celles de la finance, de la science et des intelligences sous toutes leurs  formes,  lui a sans doute permis de percevoir mieux que quiconque l’urgence de répondre à la contestation qui s’amplifie et à la perte de pertinence et de sens de ce libéralisme qui, par-delà ses effets bénéfiques nourrit les affrontements et détruit « les biens communs »,  ces  ressources  fournies gratuitement par la nature. 

La mondialisation a transformé notre Planète en un champ de bataille sans morale et spiritualité : « …S’il y a bien une mondialisation idéale, celle où le progrès de chacun contribue au progrès de tous …» et, si le libéralisme des temps modernes a fait progresser la satisfaction des besoins vitaux, il a aussi creusé des  écarts majeurs entre la société de consommation qui  déborde de biens matériels et d’images pour les uns, sans procurer le minimum décent pour les autres.  Ce constat lourd de conséquences rejoint en tous points les réflexions d’Adam Smith qui soulignait déjà que :

« .. le libéralisme n’est légitime que s’il est inscrit dans un contexte institutionnel qui respecte la possibilité pour tous d’accéder aux « bonnes choses de la vie »… »

Fort de ce constat et de ses convictions de « grand Sage » et d’humaniste que nous lui connaissons, Bernard Ésambert s’est livré à une critique sévère des dysfonctionnements de l’économie de ce début du XXIe siècle. Dans sa note d’avril 2018, (publiée dans cet ouvrage) il souhaite la création d’un code moral qui «…rende  acceptable son fonctionnement à la majorité des femmes et des hommes, en recréant un peu de  vertu et de grâce dans le système, en répondant aux aspirations et à l’immense désir de justice et de dignité…».

La mondialisation s’est développée plus rapidement que ses nécessaires régulations par trop dispersées et en l’absence d’un code éthique mondial. Aussi propose-t-il en invitant les vingt-deux prestigieux contributeurs à ce cycle, (de Jean Tirole, Pascal Lamy, Michel Camdessus, des économistes et les  représentants des religions monothéistes), comme l’ensemble des personnalités, morales, politiques ou intellectuelles à mettre : «… de l’ordre dans notre image du monde et de ne plus lire l’économie comme une religion sans tables de la loi … ».

Les quinze principaux domaines proposés à ces travaux passent en revue l’ensemble des grandeurs et misères du «système» :  de la justice, première priorité, à la dignité, la fraternité, la solidarité, le travail des enfants, les égalités, le pouvoir et l’éthique dans l’entreprise, mais aussi … la cupidité, la philanthropie, la corruption , les biens , la pauvreté et  l‘environnement- écologie comprise … une légitime et grande ambition.

Mais la pandémie mondiale a retardé les avancées vers la constitution de cette  «assemblée mondiale» que Bernard  Ésambert appelle de ses vœux. Elle   devrait être composée des  représentants des courants éthiques  se  reconnaissant  dans ces principes  du  «vivre  ensemble» et au-delà, elle permettrait l’émergence  d’un libéralisme tempéré qui y  gagnerait  de nouvelles lettres  de noblesse . La publication d’une charte éthique par un groupe de Sages, permettrait sans  doute de «… fabriquer une nouvelle Histoire  du  Capitalisme libéral …»  qui devra beaucoup, pour sa renaissance, à la détermination de Bernard Ésambert.

Une réflexion d’une richesse, intellectuelle, éthique morale… rare. Immanquable pour tous publics.

Bernard Ésambert – Une vie  d’influence –  Flammarion  Prix saint  Simon 2013 – Proche collaborateur du Président Pompidou, dirigeant d’une prestigieuse Compagnie financière, ancien Président de Polytechnique et de l’Institut Pasteur, Président de nombreuses organisations caritatives (recherche sur le   cerveau, l’épilepsie, Légion d’honneur, l’institut Georges Pompidou etc..)  – auteur d’ouvrages qui ont fait date, est reconnu par ses pairs comme l’une des grandes références morales et intellectuelles contemporaines.

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